Bienvenue à tous à Saint-Denis, ville des rois morts et du peuple vivant. Ville au patrimoine inestimable, où l’Unité municipale d’archéologie effectue depuis plus de trente ans un exceptionnel travail de relecture urbaine et où l’association Franciade poursuit son activité de valorisation et de diffusion des produits dérivés de l’archéologie. Saint-Denis, dont l’antique foire, devenue l’actuel marché forain, a fêté son millénaire et sa halle Baltard son centenaire, en 2017. Merci d’avoir choisi pour ce colloque sur le comblement des lacunes une commune aussi singulière et rebelle. Pour présenter en quelques mots pourquoi la municipalité souhaite depuis plusieurs décennies remonter le clocher nord de la basilique, qui appartient à l’État, vous me permettrez de bousculer un peu les idées auxquelles chacun d’entre vous est habitué.
Dans l’architecture, la lacune peut être interprétée comme le signe du vivant. N’est-elle pas cette sorte de respiration qui crée les conditions d’une invention de vie sur une image établie ? Le programme Fenêtres sur rue, que nous avons inauguré il y a quelques jours en est une illustration ; les fenêtres fermées devenant ouvertures sur une vie réinventée. Mais la lacune peut être aussi vécue comme une blessure, un manque, une envie de projet. À quelques pas d’ici, une lacune entre deux parcelles d’un quartier est devenue La fabrique de la ville, couverte par son champignon rouge et blanc conçu par Patrick Bouchain. Elle offre au public la découverte d’un chantier de fouille et le décryptage d’un édifice apparemment banal, qu’une analyse attentive a révélé médiéval. Ce programme rend hommage à une archéologie vivante qui, de la basilique à la halle, articule la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur créée par Napoléon, l’ancienne salle des fêtes, devenue le siège d’un festival de musique original, et l’îlot du Cygne. Grâce à La fabrique de la ville, cet îlot redeviendra le cœur d’un quartier nouveau, recomposé à partir de toutes ses dimensions historiques et humaines. De la même manière, dans les années 1980-90, la reconstruction de notre hyper-centre a inséré les principaux vestiges de la ville ancienne dans une architecture pleinement contemporaine due à André Lurçat, Renée Gailhoustet, Serge Renaudie, Pierre Riboulet et quelques autres.
Le projet de remontage de la flèche nord de la basilique, qui nous réunit aujourd’hui, n’est pas un projet anodin. Il n’est pas, non plus, une simple question scientifique, bien que les principaux médiévistes français lui aient apporté leur soutien. C’est tout d’abord un projet d’anastylose urbaine, qui ne prend sens que dans le dépassement du rêve immatériel. C’est également un projet fédérateur d’une population diverse, mais qui s’exprime et se retrouve dans une urbanité recomposée. Et comme tout projet ambitieux, il dépasse les habitudes de propriété, de conservation monumentale et de pensée. Avec les travaux effectués par François Debret sur la basilique de 1813 à 1846, Saint-Denis est la ville de France où la réflexion patrimoniale s’est inventée. Acceptons que, deux cents ans plus tard, elle soit celle où la réflexion patrimoniale se renouvelle. Et si la ville a une histoire au sein de laquelle elle peut puiser, la caserne de la place du 8-mai-1945, dont nous avons conservé la porte, pourrait, elle aussi, être reconstruite car, malgré une démolition vieille de plus de trente ans, elle continue d’appartenir à une mémoire collective et fait défaut à un quartier.
Je sais les objections qui ont pu être apportées au projet de la basilique et je les respecte. Mais en vertu de quel postulat l’histoire d’un monument devrait-elle s’arrêter à son dernier état connu, parfois très circonstanciel ? Et en vertu de quel autre postulat, toute intervention sur un édifice ancien devrait-elle afficher un modernisme contraire à son identité ? L’architecture n’est pas un art uniquement matériel, qui s’efface au fil du temps et se complète au gré des modes. Elle est un dessin autant qu’un dessein, et la pratique séculaire de la restauration montre qu’elle ne survit que grâce à une permanente réfection. Philibert de l’Orme n’a-t-il pas achevé la Sainte-Chapelle de Vincennes selon une architecture médiévale vieille de deux siècles, sans chercher à faire du Philibert de l’Orme, et Boffrand n’est-il pas intervenu sur le transept de Notre-Dame de Paris en usant d’un vocabulaire architectural conçu cinq-cents ans avant lui ? Ces attitudes n’étaient pas l’expression d’un traditionalisme de la commande ou d’une pauvreté conceptuelle des maîtres d’œuvres car, dans les deux cas de figures, c’est à l’encontre de la mode du temps qu’ils ont opéré. S’ils ont pris ce parti, que quelques naïfs peuvent juger passéiste, c’est par pleine compréhension de la cohérence que doit présenter une architecture, et de l’obligation de chacun à y contribuer. L’histoire est autant faite de création que de continuité et, s’il fallait faire systématiquement du neuf sur du vieux, nous n’aurions plus aucune mémoire architecturale. La ville de Saint-Denis ne souhaite donc pas reconstruire une flèche sur la basilique comme ce fut un moment proposé ; elle souhaite retrouver sa flèche.
Le territoire de Plaine Commune, dont Saint-Denis fait partie, a été labellisé en 2014 Pays d’art et d’histoire. Nous y créons un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine, mobile, matériel et immatériel, qui répondra à une réelle pratique publique et dont les premières lignes budgétaires sont votées. L’installation au pied de la basilique d’un chantier patrimonial vivant est un autre exemple de la volonté de faire la ville ensemble, qui prenne source et intelligence dans une construction emblématique. Dans ce sens, le remontage de la flèche de la basilique n’a qu’indirectement un objectif patrimonial. Il est surtout un moyen de fédérer un enthousiasme autour d’un monument, dans une action proche du plaisir et dans une pédagogie de la transmission. Comme à la Sagrada Familia de Barcelone et à Guédelon, ce projet exprime une approche nouvelle du patrimoine, dont la fréquentation aléatoire oblige à constater qu’il est chaque jour moins connu. Bien au-delà des efforts institutionnels, c’est ce retour à un intérêt public qui permettra une conservation patrimoniale durable et pleinement acceptée. Vous voyez combien le contenu de vos travaux résonne dans des politiques municipales menées ici avec volontarisme.
Je vous souhaite une journée fructueuse et laisserai à Oscar Niemeyer, à qui nous devons un immeuble voisin de la basilique, conclure à ma place : « L’œuvre architecturale doit être belle, légère, différente. J’ai toujours été rebelle aux règles préétablies, aux contraintes didactiques, à l’angle droit, qui est une création rigide de l’homme ».
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